Peur sur Brazzaville

 Les Brazzavillois s'inquiètent de plus en plus de ce que sera fait de leurs lendemains. Rien n'est plus sûr. Tenez par exemple, les agents de la fonction publique n'ont plus une date fixe à laquelle les salaires sont versés. La suite est qu’une chaîne d’avalanche qui sème la terreur dans les esprits.
Plus personne ne tient à ses engagements...
La mine serrée, le ton grave Crépin vêtu d'une chemise en mousseline assortie de pagne Bogolo et d'un pantalon en toile bleu marine défraîchi, broyait visiblement du noir. Son impatience se lisait au premier regard. Il avait d'ailleurs attiré l'attention de tous. Particulièrement celle d’un groupe de jeunes dont les âges variaient entre 15 et 25 ans qui s'affairaient sur l'avenue Maya-Maya dans le quatrième arrondissement de Brazzaville. À l'aide d'une brouette, ils bouchaient un nid de poule, qui se muait en crevasse sous l'indifférence des autorités municipales. Ces jeunes gens avaient ainsi supplée à l'Etat qui avait de ce point de vue démissionné. C'était tout sauf des bénévoles ! Ils apostrophaient les usagers pour être récompensé. Les confrontations étaient souvent acerbes au point d’arracher Crépin de temps à autre de sa torpeur. Il revenait à la réalité, dans un environnement dans lequel il fallait avoir la dent dure pour avoir de quoi se mettre sous la dent. Il se laissa ainsi emporter dans une réflexion qui le rendît encore plus triste qu'il l'était déjà. À six mois d’impayés de loyer, son locataire avait largement dépassé les limites. Il lui reprochait sa désinvolture, mieux son manque de courtoisie. La bienséance aimerait qu’il se rapprochât de lui afin d’en parler, de se fixer sur l’issue à donner à cette impasse. Il n’avait pas le cœur sur la main. Et puis par les temps qui courent, autant, on pouvait comprendre l’insolvabilité qui se généralisait, autant, il valait serrer la vis pour rentrer en possession de ses recettes. Pourquoi donc ne pas faire preuve de ténacité à l’égard d’un locataire qui n’avait pas l’élégance d’assumer le tort qu’il causait à un père de famille dont l’impuissance commençait à lui faire perdre la tête. Il avait de bonnes raisons de brûler sa contrariété sur ce dernier. L’inventivité et le pragmatisme de ces jeunes reconfiguraient son état d’âme. Tout en éprouvant de la peur face à l’inconnue, il réalisait que la survie exigeait une bonne dose de violence. C’est ce qu’il comptait faire. En effet, dans sa peur, il extrapola ; les usagers se faisaient racoler au vu et au su de tous. Par impudence, ces jeunes légitimaient le racket. Au nom de quoi versaient-ils, fut-il une maudite somme à ces jeunes qui inspirent la délinquance et le non-respect de la loi ? Il était bien d'accord que les usagers de l'avenue Maya-Maya dans l'arrondissement 4 de Brazzaville devraient une fière chandelle à ces supplétifs de la municipalité de Brazzaville, non seulement en les faisant gagner du temps, mais aussi en préservant leurs amortisseurs. Du reste, ils extorquaient de la thune avec l’accord tacite des pouvoirs publics. 
Les comportements précurseurs
Le soleil venait de se lever. Sa rage fut au zénith quand un individu au crâne rasé, dont les cernes boursouflés attribuaient une longue et périlleuse vie avançait... Avec un regard fuyant, il épiait les passants et évitait le vis-à-vis avec une malice que Crépin percevait que trop bien… À Brazzaville, avec la rupture et la crise, l’esquive est devenue un sport national. Chacun faisait de son mieux pour se soustraire d’un engagement ou de renvoyer aux calendes grecques une échéance. Ce n’était plus une occasion de honte que de distraire son bailleur ou de tirer profit d’une activité illicite comme le faisaient ces jeunes gens sans états d’âme. La situation l’imposait… La peur au ventre, les lendemains étaient redoutés, la malice s'invitait... Aujourd’hui Crépin comptait rentrer en possession d’au moins un mois de loyer. Question d’atténuer la tension qui devenait de plus en plus insoutenable dans son ménage. Il envisagea de le prendre au collet afin de lui signifier la rage qui s’était appropriée de lui… Il savait que si les forces de l’ordre permettaient que les jeunes rackettent les usagers, elles ne laisseraient pas passer la petite altercation entre deux individus. Ce serait une aubaine, une opportunité pour les gardiens de la paix de se faire les poches, et même d’instiller la dose de violence quotidienne à une population apeurée depuis par un traitement à la limite de la cruauté.

La population s’était braquée. Elle assurait son autodéfense, car la police, la gendarmerie et les forces armées étaient perçues comme des forces de la répression de la citoyenneté. Il renonça à cette idée qui présentait un grand risque.
La rue était très étroite et le moindre bruit attirait pour sûr l'attention des passants, lesquels deviendraient très vite des badauds. Il fallait faire preuve d’une bonne intelligence pour amener à bien ce recouvrement forcé dans une conjoncture tendue.
Le temps imparti ne lui permit pas d’élaborer un plan viable, il abandonna la méthode au profit de l’action. Ainsi, quand Benjamin arriva à son auteur, il bondit sur lui à la manière d’un fauve. Eh bien, en n’était-il pas devenu un ? En tout cas, le cours de l’action était aucunement contraire à l’idée que les instincts primaires avaient bien pris le dessus et qu’il était plus qu’une masse de chaire qui s’acharnait sur un menu individu qui a tout égard, demandait tout à la société ; de l’assistance tant ses membres avaient perdu toutes leurs forces. 


À la crise comme à la crise…
À situation exceptionnelle, comportement exceptionnel et donc tout était permis pour la survie. Et encore, ce n’était pas la subsistance d’un individu, mais de toute d’une famille qui s’éteignait sous l’effet malveillant de la misère. C’était à peine croyable qu’un cadre assidu et consciencieux, qui ne voulait que s’acquitter de ses devoirs de père de famille, ceux de subvenir aux besoins des tiens, se sente aussi impuissant. C’était récurrent à Brazzaville que les cadres éprouvent des difficultés à nourrir, et même à éduquer les personnes sous leurs autorités. Crépin ne voulait pas passer par le dos de la cuillère. C’était l’unique occasion de la journée qui lui redonnait une position un tantinet confortable ; il pouvait exiger que le loyer soit versé sans autres forme de procès. Il était allé jusqu’à penser que même une maudite avance serait la bienvenue. L’angoisse de rien avoir et la solidarité entre vulnérables autant dire entre indigents poussaient à une compréhension qui ne pouvait pas s’entendre en temps favorable. Les habitudes avaient depuis changé. La rigueur était un luxe que les Congolais ne pouvaient plus se taper. À Brazzaville, la peur au ventre, on arrondissait les fins de mois comme on pouvait… Il pouvait y arriver avec un peu de ténacité, Benjamin remuerait ciel et terre pour lui filer une bouffée d’oxygène. Il ne fallait pas tenir rigueur à cet individu qui effectivement lui-même avait du mal à joindre les deux bouts du mois.
S’entrevoir à travers l’autre
La compassion était le sentiment le mieux partagé. Crépin sentait sa rage s’évaporer, il ne voulait pas l’entendre de cette oreille. Il aurait aimé être dans un redoublement de rage pour avoir la garantie de pouvoir donner le meilleur de lui-même, car les procès que sa conscience lui faisait le prolonger dans une peur noire. Il voulait trouver un autre expédient pour ne pas avoir sur la conscience les malheurs d’un mourant. À l’instant, rien de consistant ne se présentait à lui, il avait beau calomnié  Denis Sassou Nguesso , mais l’angoisse lui restait coincer à travers la gorge. Son locataire insolvable était tout aussi victime de la mal gouvernance qui avait plongé le pays dans la grande peur. Chacun voyait le reflet de sa misère dans la platitude de l’autre…
Au cœur de la débrouillardise
Quand Crépin se trouva face à Benjamin, les salutations ne furent pas chaleureuses. Elles étaient à la limite de la bienséance. La peur régulait d’une certaine manière la rencontre qui produisait la crispation de part et d’autre. D’un geste de la main, le locataire indiquait le chemin au bailleur qui coltinait une tête d’enterrement. Quand ils arrivèrent sur l’Avenue Maya-Maya, les jeunes redoublaient d’efforts. La présence de Benjamin accélérait le rythme, l’entrain était visible… D’un mouvement brusque de la tête soutenu par un regard froid entretenu par des yeux rouges savamment ouverts en parfaite contradiction avec le bonhomme effilé dont le dos était arrondi par le poids des arriérés de loyers et du remerciement. Crépin avait éprouvé de la compassion pour ce dernier. Il a fait d’ailleurs une extension avec la situation du pays. Le gouvernement accusait plusieurs mois d’arriérés de pensions et de bourses, et plusieurs mois d’arriérés de salaire dans l’intérieur du pays. Un président qui se félicite de cette situation. Benjamin faisait peur, lui à qui, on donnerait la communion sans confession afin de lui faire une place au ciel tant sa vie ici-bas était de la débrouille. 
Le jeune qui était ainsi appelé, couru à toute vitesse vers Benjamin avant de lui remettre une enveloppe, bien sale ! Il jeta un coup d’œil intéressé avant de relever la tête et de mitrailler le jeune homme du regard. La suite pouvait se passer de commentaire. D’une voix tremblotante, il donnait des explications qui ne parvenaient pas à baisser la tension. Il finit par avoir les mots en disant, « vieux, il faut dire au commissaire que la crise est bien réelle les usagers sont prêts à en découdre au lieu de donner une petite pièce ». Il fit un sourire jaune en signe d’approbation. Il tendit l’enveloppe à Crépin lequel ridât son front aussitôt qu’il avait pris connaissance du contenu. Par un sursaut d’un orgueil, il écarquillait les yeux pour avoir une explication. Il n’est pas question que je prenne le quart du loyer alors que tu es à six (6) mois d’arriérés ! Benjamin répondait en disant, « calmes-moi, je vais compléter le reste ! »
La grande peur
Crépin avait pu encaisser un mois de loyer. En effet, les deux s’étaient rendus à l’arrêt marché Poto-Poto. Benjamin avait échangé avec des jeunes qui chargeaient les bus à la criée, lesquels lui remirent une enveloppe sans rechigner. Benjamin était un auxiliaire de police, des citoyens que le gouvernement utilisait pour venir en appui à la police qui se trouvait être débordée par le grand banditisme qui était né en réponse au coup d’état constitutionnel qu’a été le changement de la Constitution du 20 janvier 2002. L’effet contraire s’était produit avant que les autorités ne décident d’arrêter ce qu’il faut appeler par l’officialisation de la délinquance.Il supervisait les terminus et les arrêts de bus. D’après lui, les recettes étaient destinées à financer les activités des commissariats de police de l’arrondissement que cette pratique était connue des plus hautes autorités de la police et de la gendarmerie. Il se comportait en chef de bande, un hors-la-loi qui avait la bénédiction des forces de l’ordre qu’adviendrait-il de ses jeunes qui ont comme gagne-pain de l’extorsion de fonds dans une ville comme Brazzaville dans laquelle la classe moyenne s’appauvrit au fil de la dictature ? 






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